Les marchés d’actions : l’espérance est-elle un risque à courir ?   

La baisse des actions est violente. Mais elle aurait pu être bien pire sans l’optimisme inébranlable des analystes financiers, et la déraisonnable complaisance des investisseurs. « L’espérance est un risque à courir », se disent-ils peut-être comme Bernanos.  

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 2
Marchés boursiers à New York (Crédits : Scott Beale, CC-BY-NC-ND 2.0)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Les marchés d’actions : l’espérance est-elle un risque à courir ?   

Publié le 24 juin 2022
- A +

« Méfiez-vous de comprendre », nous prévenait Lacan. Comme quoi, la psychanalyse ne dit pas que des âneries. Chercher à justifier les mouvements des marchés d’actions, est-ce bien raisonnable ? Le plus souvent, ceux qui savent ne parlent pas, et donc ceux qui parlent ne savent pas non plus (contraposée). Mais cela n’empêche pas d’essayer de comprendre. Surtout lorsque les mouvements observés commencent à ressembler à ceux d’une crise majeure.

Déjà près de – 20 % pour les marchés d’actions américains et européens depuis le début de l’année, même en tenant compte des dividendes versés. La chute est sévère, mais elle n’est pas déméritée. Le moral n’est pas là et n’a pas de raison d’y être : un genre d’« hiver lucide » de Mallarmé. En vérité, on pourrait même dire que les marchés s’en sortent très bien. En effet, la baisse des actions aurait pu être bien pire encore sans l’optimisme inébranlable des analystes financiers et la complaisance déraisonnable des investisseurs.

 

L’optimisme inébranlable des analystes financiers

Les analystes financiers n’ont toujours pas révisé les perspectives de croissance des bénéfices des entreprises anticipés pour 2022, malgré la dégradation de l’environnement économique. Ils anticipent près de 10 % aux États-Unis et 15 % après les rebonds historiques post covid déjà enregistrés en 2021. Des chiffres qui contrastent avec le risque de récession qui augmente à mesure que le choc inflationniste s’intensifie. Mais les analystes avancent quelques arguments pour leur défense.

D’abord l’argument le plus fort : les entreprises ne montrent pas de difficulté à diffuser les hausses de prix subies dans les prix des produits vendus. En vérité, seule une accélération significative du coût du travail serait susceptible de peser sur leurs marges. Il parait que les salaires connaissent quelque inflexion ? « Je ne crois que ce que je vois », comme dirait l’autre. Un autre argument : les gens achètent moins mais plus cher, donc au total la valeur des ventes des entreprises évolue peu. Effectivement. Enfin, un dernier argument imparable : on observe bien quelques révisions baissières de bénéfices dans certains secteurs (distribution…), mais compensées par des révisions haussières dans le secteur de l’énergie (pétrole, gaz…).

Demain ? Tous les yeux sont rivés sur les indicateurs avancés de l’économie (PMI par exemple). Ils sont généralement de très bons (les meilleurs) indicateurs des bénéfices à venir des entreprises. Depuis le début de l’année, ces indicateurs reculent mais restent sur des niveaux compatibles avec un ralentissement modéré de la croissance économique. Or, si une récession nous pend au nez, on ne voit pas trop quel tour de passe-passe permettrait de justifier des croissances de bénéfices toujours aussi fortes pour 2022.

 

La complaisance déraisonnable des investisseurs

Contrairement aux apparences, la baisse violente des marchés n’est pas liée à une panique de l’investisseur. Au contraire, l’investisseur s’est montré de plus en plus complaisant, alors que les tensions sur les taux d’intérêt justifiaient des marchés de plus en plus bas. La valorisation des actions est un jeu à deux pistons : le taux d’intérêt et la prime de risque exigée par l’investisseur (inverse de la complaisance). Quand l’un monte, l’autre a tendance à baisser afin de lisser la vitesse de croisière de la valorisation. Concrètement, si les taux montent parce qu’il y a de la croissance économique, alors l’investisseur exigera une prime de risque moins élevée (complaisance) car la croissance rend les gens moins averses au risque.

C’est exactement ce qui a été observé depuis le début de l’année, le taux d’intérêt a monté et la prime de risque a baissé, ce qui a permis au marché de limiter sa baisse. Le problème c’est que cette complaisance de l’investisseur ne peut pas s’expliquer par une plus forte croissance économique anticipée, puisque c’est l’inverse qui se produit ! la croissance a été significativement révisée à la baisse compte tenu de la dégradation de l’environnement économique. Plus troublant, les précédents nous rappellent que tout choc inflationniste se traduit non pas par une baisse de la prime de risque, mais par une hausse. Cela constitue alors une double peine pour les marchés d’actions : hausse des taux et hausse de la prime de risque. Un bémol à cette analyse : la prime de risque n’est pas observable sur les marchés, elle se déduit. On peut donc toujours nuancer le propos en imaginant qu’il existe des modèles de valorisation moins catégoriques.

Demain ? Si le choc inflationniste continue de surprendre par son ampleur et sa durée, on ne voit toujours pas quel tour de passe – passe serait susceptible de faire baisser encore la prime de risque pour compenser la hausse des taux. Au contraire, la baisse des marchés d’actions deviendrait plus violente encore, avec une prime de risque rebroussant chemin et emboitant le pas des taux.

 

À propos de l’escalade récente des tensions

L’accélération à la baisse des actions, conjuguée aux tensions accrues sur les taux, semble valider davantage l’imminence du scénario noir décrit ci-dessus : récession et hyper inflation. Auquel cas, la baisse des actions ne serait que dans son instant liminaire. Ni pessimisme, ni dolorisme de l’investisseur. Juste le seuil d’un séisme. Mais puisqu’il n’est pas tout à fait l’heure du catastrophisme, on se rappellera que le pire n’est jamais certain, et que « l’espérance est un risque à courir », Georges Bernanos.

Voir les commentaires (4)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (4)
  • The Real Franky Bee
    24 juin 2022 at 7 h 31 min

    Les marchés croient tout simplement au fait que jamais les banques centrales ne les laisseront jamais baisser trop fortement, et que tôt ou tard elles réinjecteront davantage de liquidités dans un système déjà obèse.

    Évidemment, si elles font ça, l’inflation explosera à des niveaux encore plus alarmants. Ce qui veut dire qu’à un moment donné (probablement pas trop lointain), ce château de cartes de non-sense ne pourra que s’effondrer. Mais le dire c’est passer pour un Cassandre excessivement pessimiste aux yeux de nombreux cuistres…

    Et encore, ça c’est pour ceux qui comprennent quelque chose, parce qu’il existe aussi un grand nombre de personnes qui ne comprennent strictement rien à part les inepties du genre “les actions ça monte tout le temps”.

    Merveilleux système.

  • Ben c’est juste comme les élections. Triomphe de l’abstention et élection par défaut des actions.

  • Je suis tout à fait en ligne avec cet article. Un point à ajouter toutefois, et qui a peut-être son rôle sur le sujet de la prime de risque : c’est une des premières fois où tout baisse ainsi fortement de manière corrélée. Le fameux 60 40 obligations/actions n’est ainsi pas beaucoup mieux qu’un 100% actions

    https://www.forbes.com/sites/carriemccabe/2022/06/23/risk-off-market-ravages-6040-portfolios-value-your-liquidity/?sh=7ff830d916d1

    • The Real Franky Bee
      24 juin 2022 at 10 h 16 min

      Très bon point. Cette allocation “au doigt mouillé” a été suggérée au vu des performances passées. En gros, ça marchait tant que ça marchait. Mais les corrélations ne sont pas forcément stables à la travers le temps, et aujourd’hui actions et obligations ont effectivement tendance à être positivement corrélées. Ce qui veut dire que quand ça va mal, tout baisse.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Si l’Homme s’installe sur Mars, je pense que ce sera par l’intermédiaire des Américains. Dans cette hypothèse, la colonie se construira logiquement avec des moyens capitalistes et le fonctionnement de son économie sera libéral. Je vous expose ci-dessous mes arguments.

 

 

[caption id="attachment_479028" align="aligncenter" width="709"] Schéma de structure financière (crédit Pierre Brisson). Pour construire et faire fonctionner une économie martienne, la structure financière doit réunir les grands entrepreneurs d... Poursuivre la lecture

C’est un débat qui enflamme les dîners de famille et sur lequel chacun a des idées bien arrêtées. D’un point de vue économique, faut-il louer ou acheter sa maison ? Éléments de réponses, chiffres à l’appui.

 

Préliminaires

Nous n’abordons ici la question que sous l’angle économique. D’un strict point de vue du coût, est-il préférable d’acheter ou de louer ?

Certains préféreront acheter une maison parce qu’ils aiment bricoler et qu’ils veulent passer du temps à la restaurer. C’est un choix de plaisir et de loisir, qui... Poursuivre la lecture

Alors qu’en termes d’innovation, l’Europe accuse un important retard sur la Chine et les États-Unis, l’épargne des ménages européens pourrait, d’après Michel Cicurel, fondateur du fonds La Maison, être mise à contribution pour financer la santé, les nouvelles technologies ou encore la lutte contre le changement climatique.

 

35 000 milliards d’euros d’épargne : c’est le montant de l’épargne dont disposeraient les ménages européens. Un véritable trésor, qui dort tranquillement sur des comptes et livrets aux rendements tout aussi tr... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles